Un dragon au milieu des ruines... [Elluviel]

Il ne faisait pas extrêmement beau, ce jour là. Les nuages envahissaient le ciel et cachait quelques fois la lumière du soleil. Le vent soufflait, il bruinait... Un temps peu idéal pour la chasse. La brise était si forte, qu'Elluviel avait laissé son arc à la maison. Elle fit provision de dagues et aiguisa un peu son épée avant de passer la porte de la petite maisonnée de bois. Elle fut contrainte de nouer ses cheveux qui lui fouettaient le visage et l'empêchait de voir à plus de vingt mètres. Pour chasser dans les ruines, mieux valait être préparée. En effet, dans les beaux jours, les bandits de grands chemins affluaient, ou les grands dragons sans dragonniers qui pouvaient, à la longue, être dangereux.
Ils grandissaient avec d'autres dragons, sans rencontrer un humain et alors, ils devenaient agressifs envers la race humaine. Ils les tuaient sans vergogne, d'après les dires de son père et les quelques légendes qu'elle avait eut la chance de lire. C'était comme interdit, dans ses pensées. Le gouvernement ne devait pas apprécier non plus. Toutes évoquaient des actes magiques, or, la magie était proscrite. Elluviel était la première à le savoir.

Elle trouvait l'habituelle clairière où elle rencontrait Leyllit, son dragon. Ils se posa près d'elle et l'aida à monter sur son dos. Ses écailles glissantes n'étaient pas le meilleur appui, mais elle s'y était habituée. Elle ne devait pas se trouver près des ailes, mais de la tête. Elle noua ses bras autour de son cou et serra les jambes. Ses pieds ne se touchaient même pas. Le dragon s'éleva dans les airs, emportant avec lui des rafales de poussière et de terre. Les feuilles des arbres s'agitèrent encore plus. Destination ? Les ruines. Vraiment ? Oui, vraiment.
Leyllit non plus, n'aimait pas les ruines. Il n'aimait pas les dragons qui s'y promenaient. Mais il fut contraint de l'y conduire. Le vol en dragon était très instable. Elluviel préférait de loin les trajets à cheval. Leyllit l'entendit et faillit la faire tomber sous le coup de l'indignation. Elle se cramponna à la stature imposante de son dragon. Heureusement, en quelques battements d'ailes, ils furent arrivés aux ruines. Il se posa sur un gros rocher et la laissa descendre.
Elle découpa quelques herbes qui l'intéressaient et les glissa dans la petite besace accrochée à sa ceinture. Elle entendit du bruit, plus loin, derrière la dernière colonne de pierre encore debout.
La brume s'était levée. En effet, il ne devait pas être plus de neuf heures du matin. Elle était trop épaisse pour que la jeune femme puisse voir ce qui provoquait ce bruit. Probablement un bandit pas très discret. Il lui suffisait de l'assommer de quitter l'endroit. Ils n'étaient pas très futés, et encore moins bon au corps à corps, plus dans la distance. Elle attrapa la dague qu'elle glissait dans sa botte droite et s'avança.

Leyllit était nerveux, il ne cessait de grogner et de taper ses pattes imposantes contre le granit. Elle soupira et le pria de se taire. Tu veux vraiment que je meure par ta faute ? Le dragon ne répondit pas, mais ne se calma pas pour autant. Si l'inconnu était un dragon, la dague ne suffirait pas. Finalement, elle comprenait l'animal, elle n'était pas sûre de survivre.
Ses doigts serrèrent le manche de la dague jusqu'à ce que les jointures la fasse souffrir. Sa main tourna au blanc et son visage aussi. Mais elle continua d'avancer.
C'était un dragon. Imposant et de couleur noir et rouge flamme, il était encore plus terrifiant que Leyllit. Il était seul, sans dragonnier, comme l'avait redouté la jeune femme. Elle ravala sa salive avec difficulté. Le vent lui sembla encore plus froid et la tête lui tourna. Les signaux magiques étaient tardifs, ce qui était étrange compte tenu de la taille de la bête.
Je ne te veux aucun mal. Je m'appelle Elluviel, je suis dragonnière. Elle coupa leur échange durant quelques secondes. Leyllit, vient voir, je t'en prie, supplia-t-elle.

Leyllit ne se fit pas prier, et apparut aussitôt. Il était plus petit, mais tout aussi majestueux. Il était droit, et de ses naseaux s'échappaient du souffre. Il était prêt à la protéger, mais Elluviel savait qu'elle était entre deux feux mortels... elle n'en réchapperait pas. Tu vois ? Lui c'est Leyllit et il est mon dragon. Derrière elle, le dragon se gonfla de fierté.
Ils n'avaient jamais rencontré de dragonnier sans dragon. C'était comme un humain sans coeur, sans âme. Elluviel sans Leyllit n'était plus Elluviel. Non seulement l'animal était son meilleur ami, mais ils partageaient tout, malgré leurs caractères différents. Il était fougueux, irresponsable alors qu'elle était réfléchie et futée. Pourtant, ils étaient comme les doigts de la main. C'était vraiment étrange, finalement, de voir qu'un dragon était seul. Enfin, ils supposaient que le dragon était seul, car là où est un dragon, son dragonnier ne tarde jamais. Tu es seul ? Par cela, elle entendait sans dragonnier.

Elle avait très chaud. Comme si elle était déjà brûlée. Elle ne sentait qu'une chose : la caresse des flammes sur sa peau à vif. Sans geste brusque, elle rangea sa dague à sa place : dans le fourreau caché dans sa botte droite. Maintenant désarmais, elle leva ses mains vides en l'air, pour les montrer à Merwyn. Dans son langage ? Etrange. Leyllit et elle parlaient la même langue. Elle interrogea son dragon. Je t'expliquerai plus tard, répondit-il. Ce devait être une longue histoire alors.
Merwyn n'avait pas confiance visiblement. Il devait être tellement seul qu'il devait haïr les humains. Leyllit lui avait raconté que certains ne désiraient même pas avoir de dragonnier. Mais que c'était de la véritable torture. Leur aura magique les entraînait vers une présence humaine, et qu'ils devaient y résister à tout prix pour ne pas être la risée des autres dragons. Elle ne l'avait jamais cru, mais peut être s'était-elle trompée. Un dragon sans dragonnier ou un dragonnier sans dragon... c'était comme perdre sa raison. Leyllit et elle ne formaient plus qu'un. Il suffisait de guider ce dragon jusqu'à son ego humain.

Leyllit s'anima subitement, derrière elle. Il semblait prendre confiance en la bête colossale devant eux. Merwyn. C'était un plutôt joli nom. Pas aussi ingrat que Leyllit au goût de la jeune femme. Elle ne comprit pas ce qu'ils disaient. Ils parlaient un autre langage que la jeune femme ne maîtrisait pas. Merwyn avait donc raison, il y avait une langue de dragon. Leyllit lui traduisit leur conversation après qu'ils eurent parlé.
Tu sais Merwyn, Elluviel est la seule personne en qui je peux avoir confiance. Je ne peux pas me montrer au grand jour. La magie est interdite. Et seule Elluviel me protège. répondit le dragon à la question de l'autre. Il le pensait vraiment, car malgré leurs innombrables chamailleries, ils restaient d'excellents amis et confidents.
Un dragonnier était précieux à un dragon. Ils étaient comme deux larrons en foire et d'excellents alliés s'il y avait des combats. Depuis qu'ils se connaissaient, ils n'avaient jamais pu imaginer leur vie l'un sans l'autre. Ils étaient complémentaires et restaient un maximum en contact. Il suffit de trouver « ton » humain et tu verras, vous serez comme les doigts de la main, ajouta Leyllit.

Elluviel se rassura. C'était la plus sage décision que quelqu'un ait jamais prise, surtout un dragon. Les jours précédant leur rencontre avaient été pour Elluviel et Leyllit des jours de souffrance et d'incertitude, des jours interminables et des loisirs insipides. Elle se redressa et sourit à l'imposante créature.
Elle acceptait volontiers de l'aider, seulement son coeur battait à la chamade et la peur se faisait de plus en plus grande. Les dragons étaient des personnages impétueux, fougueux et ne pas les satisfaire entraînait la mort pour la plus part... En effet, Elluviel ne savait pas par où commencer... elle ne connaissait aucun dragonnier, excepté elle et Aymeric Yddreigh. Les dragonniers se cachaient, de même que les dragons. S'ils devaient le trouver, ce serait dans la civilisation même de Thildraigh, là où Merwyn serait incapable d'aller. Il n'y avait donc plus qu'elle et sa foutue détection d'auras magiques.

Leyllit, comment on fait ? demanda-t-elle au dragon sans que Merwyn puisse l'entendre. Comment on fait pour retrouver son dragonnier ?
Elle se retourna et s'approcha de la bête colossale. En effet, elle lui arrivait à peine à la moitié de sa patte lorsqu'il se redressait dans toute sa splendeur. Mais le dragon restait très souvent vouté et plié, si bien qu'il paraissait beaucoup moins impressionnant. Merwyn n'était pas comme ça. Non, il semblait fier et majestueux, dans les tons noirs parsemés d'une couleur flamme. Il était beaucoup plus impressionnant que Leyllit en tout cas, et s'ajoutait au mythe le fait qu'il détestait les humains, le rendant inaccessible.
À vrai dire très chère, je n'en ai aucune idée. Je ne pressens qu'une aura magique ici, à part la tienne, celle de Merwyn et la mienne. C'est probablement juste une dryade comme celle que tu as rencontrée l'autre fois.
C'est vrai qu'en y repensant, elle ressentait elle même quelque chose. Une douleur, quelque part dans sa tête. Ses perceptions magiques changeaient tout le temps. C'était souvent une sensation de claustrophobie, ou un état d'esprit changeant. L'aura magique était puissante décidément, mais pas assez puissante pour appartenir à une dryade. Probablement une sirène, ou un sorcier... ou même un dragonnier tant qu'elle y pensait. C'était parfaitement plausible en effet. Elle devait tenter sa chance, voir si cet invité surprise était bel et bien un dragonnier ou juste un magicien. Elle espérait que ce soit le bon dragonnier, même s'il n'y avait qu'une infime chance sur quelques milliers que ce soit le bon...

Ça venait de derrière un imposant mur de pierres. Finalement, l'aura était visiblement celle d'un humain. La voilà qui était rassurée. Les dragons étaient donc assez loin. Te méprend pas. Dix mètres au sud et tu tombes sur une horde de dragon. Elle ravala sa salive et espérait que cet humain quel qu'il soit ait connaissance de cette magie qui grouillait à Thildraigh, histoire qu'il ne rameute pas toute une troupe de dragons. Elle se tourna vers Melwyn. Peut être l'avait-il lui aussi sentit ? Elle décida de garder cette conversation privée, la déroulant par télépathie plutôt qu'à voix haute...
Tu l'as sentit ? C'était une question idiote, car elle croyait bien que les dragons avaient une aura de détection plus puissante que celle des humains. Enfin, c'était le cas pour les deux compères. Cela devait dépendre du dragon, de sa force mentale et physique...