« Alone in the dark » } Elluviel

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Dehors, la pluie tombait faiblement et la nuit ne tarderait pas à envahir le ciel. Les rares personnes encore présentes dans la cour du château prirent le parti d'aller s'abriter rapidement, le dos courbé et les mains sur la tête. Une petite troupe de chevaliers, cependant, sortit de l'ombre et traversa la cour au galop. Ils quittaient le château. Tiens, la Reine envoyait ses chevaliers en mission apparemment. Ariane était accoudée à la fenêtre et regardait le maigre spectacle qui s'offrait devant elle. Mais la cour était désormais totalement vide et elle alla s'installer dans un fauteuil un coin du feu. Elle se trouvait dans la pièce réservée à la couture, son lieu de travail en quelque sorte. Avec elle il y avait l'autre couturière du château, mais un silence s'était installé entre elles, chacune travaillant de son côté. Ce n'était pas un silence gêné car aucune des deux n'était du genre à vouloir meubler la conversation. Quand il n'y avait rien à dire, on ne disait rien. C'était ainsi.

Ariane s'assit donc à côté du feu, savourant le plaisir simple de la chaleur sur son visage. Elle s'était accordée une pause après un après-midi entier à coudre, prendre des mesures et essayer des modèles. Elle aimait bien s'asseoir et ne penser à rien. Elle profitait, c'était une des choses qu'elle ne pouvait faire seulement dans son corps d'humaine. Elle pestait souvent contre sa vie de jeune femme mais elle devait bien reconnaître qu'elle l'aimait. Elle s'amusait beaucoup à jouer la petite peste et la charmeuse, il fallait l'avouer. Mais au fond elle n'en avait que faire. Pour elle la vraie vie était sa vie de dragonne. Son séjour chez les humains, bien qu'elle était obligée de travailler au château, n'était qu'un jeu. A force de passer la journée entourée de robes luxueuses et d'étoffes toutes plus belles les unes que les autres, Ariane commençait à penser qu'il fallait renouveler sa garde-robe. Une petite robe bleue lui plairait bien. Elle avait vu un tissu magnifique, tout à l'heure. Elle prit son petit carnet. Dedans elle marquait tout ce qu'elle avait à faire. Une sorte d'agenda médiéval. Elle tourna les pages jusqu'à trouver ce qui l'intéressait. Dans deux jours, elle avait un temps libre. Elle pourrait se confectionner un petit quelque chose.

– Je dois m'absenter, dit alors l'autre couturière. C'est l'heure de mon rendez-vous avec la comtesse. Elle a déchiré sa robe hier.

Ariane acquiesça et sourit. Son amie prit congés. Cette fois-ci, le silence qui s'installa dans la pièce dérangeait la jeune dragonne. Elle n'aimait pas la solitude. Nerveusement, elle prit une mèche de cheveux et se mit à la tortiller. Dans la cheminée, le feu crépitait chaleureusement. Mais la jeune fille commençait à s'ennuyer quand même. C'était bizarre, elle ne s'ennuyait pas du moment qu'il y avait quelqu'un avec elle mais dès qu'elle était seule, ça ne lui plaisait pas. Des fois, elle se demandait si elle n'était pas un peu dérangée.

Enfin soit. Ariane se releva et alla à la table. Elle but une gorgée d'eau quand la porte s'ouvrit. Elle s'attendait à voir la couturière revenir mais à sa grande surprise, son amie Elluviel se tenait dans l'encadrement de la porte.
– Hey, Elluviel ! Entre !

Au contraire, il faisait un temps absolument magnifique. Dans le ciel, les nuages noirs s'étaient éloignés et le soleil brillait de toute sa splendeur. Son ombre grandissante envahissait le lac et la lisière de la forêt. Kaelith venait de rendre visite à la jeune Elluviel, lui apportant un nouveau poème de sa composition. C'était le jour où, après l'intervention chirurgicale qu'avait dut pratiquer sa mère sur la vieille brûlure de sa fille, Primrose était tombée malade. Elle avait bien faillit y rester, mais c'était sans compter sur les ressources des dryades. Kaelith écrivait magnifiquement bien, et Elluviel avait gardé le morceau de parchemin froissé dans sa petite besace. Elle était sortie après cela, vagabondant à travers champs. Aymeric devait être occupé, Leyllit et Crannack étaient ensemble, bien sûr. Il ne restait plus qu'à aller s'entraîner, où aller parler avec Ariane, rencontrée deux jours plus tôt après un entraînement acharné avec Aymeric. Ariane était une couturière au château et après avoir bien parlé, elles étaient devenues assez proches. La couturière devait être libre.

Les habituels symptômes magiques qui habitaient Elluviel en proximité de magie firent leur apparition. Une immense fatigue l'envahit, ses pieds traînaient sur le sol et elle fut obligée de s'asseoir sur une souche. Elle n'était pas loin de la clairière où elle avait rencontré le Prince Aymeric pour la première fois. Un grondement s'en échappait. Ce n'était pas Leyllit, il l'aurait avertie. Ce devait être immense, vu le bruit qui s'échappait de l'épais feuillage. Elle se releva, la tête tourbillonnante et les pensées embrouillées. Elle dégaina son épée et une flèche. Elle la lancerait dans un oeil pour ensuite se faufiler jusqu'au coeur si la colossale bestiole lui voulait du mal.
Elle avait vu juste. La bête était immense, et c'était un dragon. Les yeux de ce dernier étaient verts. Il lui rappelaient vaguement ceux de quelqu'un. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes de noter les détails d'un visage. Elle rangea son épée et tira son arc, avec précautions. Des gestes précis et discrets.

Le dragon se transforma. En Ariane.

Quand elle y réfléchissait vraiment, Ariane n'avait que très peu d'amis. Enfin, très peu de vrais amis. Ceux à qui elle pouvait faire confiance. Et surtout, ceux qui connaissaient sa vraie nature. Elle aurait aimé en avoir plus, pouvoir partager son fardeau. Car elle avait de grands moments de doutes, de choix à prendre, de répercussions. Elle avait sa famille, mais eux aussi avaient leur propre poids. Oh, il ne fallait pas se méprendre, Ariane adorait être gardienne. Elle l'avait toujours voulu. Mais elle qui aimait la compagnie, elle souffrait de la solitude malgré ses nombreuses connaissances à Thildraigh. Et tout le problème était là. Entourée mais seule. Appréciée mais incomprise. C'était ainsi qu'elle vivait depuis quelques temps. Heureusement, elle pouvait trouver du réconfort du côté d'Elluviel. C'était une jeune dragonnière. C'était bien pour ça qu'Ariane avait accepté de lui confier son secret. Même si au départ, tout avait été qu'une erreur d'inattention.

Le temps était idyllique. Le soleil brillait, une légère brise soufflait. Et en plus, Ariane avait du temps libre. Elle en profita pour aller retrouver sa vraie nature. Elle était pressée. Normalement, elle vérifiait toujours les alentours avant de se transformer. C'était une précaution essentielle, car elle permettait de protéger son secret. Mais ce jour-là, la nuit n'allait pas tarder à tomber et Ariane avait très envie de faire une petit vol de jour, pour une fois. Elle s'installa donc au milieu d'une clairière et laissa son esprit de dragon prendre le dessus. Une fois qu'elle était redevenue elle-même, elle s'envola et fit quelques petits cercles au dessus du champs. Mais, alors qu'elle allait prendre de l'altitude, une odeur suspecte l'arrêta net. Son odorat de dragon avait repéré quelque chose d'inquiétant. Quelque chose d'humain.

Ariane se posa. Il fallait vraiment que, juste le jour où elle n'avait pas vérifié, juste ce jour précis, il fallait qu'elle soit découverte. Qui sait, peut-être l'inconnu ne l'avait pas vue ? Peut-être qu'il était encore temps de redevenir humaine et faire comme si de rien était ? Mais il ne fallait pas prendre le risque. Le nouveau venu l'avait sans doute aperçue et apparaître, toute souriante, juste à l'endroit où un dragon volait il y a quelques instants était trop suspect. Il aurait eut vite fait de comprendre. Mais Ariane avait une autre idée. L'intimidation. Elle se mit à grogner, le grognement le plus inquiétant qu'elle put sortir de sa gorge. Elle essayait de masquer sa peur le plus possible. Et s'il était armé ? En tout cas, l'humain ne prit pas la fuite. Il ne restait plus qu'une dernière solution. Se montrer. Et attaquer, s'il le fallait. Mais lorsque la jeune dragonne apparut, elle vit pire que ce qu'elle avait imaginé. Elle vit une de ses connaissances, Elluviel.

Maintenant qu'elle était sous sa forme de dragonne, Ariane sentait quelque chose de nouveau chez son amie. Elle sentait sa magie. Ainsi, la jeune fille avait également un secret. Et si il était justement temps pour Ariane de partager son fardeau ? Elle soupira, c'était plus du soulagement que de la peine, et reprit forme humaine.

Elluviel entra. Elle détailla la pièce. Ariane lui tendit une chaise avant de s'asseoir elle-même. Elle était contente de revoir la dragonnière. C'était justement une vraie amie, une amie de confiance. Qui la connaissait vraiment et qui l'acceptait comme telle.

– De l'eau ? lui dit la jeune fille en lui tendant la carafe.

Elle lui proposait car Elluviel avait l'air fatigué. Enfin pas sûr qu'elle en veuille, vu comment la pluie l'avait déjà bien arrosée.

- Tu travailles ici ?
– Oui ! Et toi, pourquoi es-tu venue ?