« Il y a ce qu'on est et ce qu'on fait semblant d'être. » } Delwyn

♣

Ariane était libre. Elle étendait ses grandes ailes émeraudes dans le ciel et volait comme si elle n'était qu'une plume. Elle sentait le vent épouser son corps. Plus rien n'arrêtait sa puissance. Au loin, les eaux claires d'un lac reflétaient les rayons du matin. Ariane s'en approcha, de plus en plus, jusqu'à que ses pattes touchent la surface de l'eau. Elle passa ainsi sur toute la longueur du lac avant de prendre à nouveau de l'altitude. Mais soudain, le temps changea brusquement. Le ciel était noir et le grondement du tonnerre résonnait au loin. Ariane sentit sa gorge se serrer et en même temps, elle perdit tout contrôle de son vol. Tandis qu'elle suffoquait, ses ailes ne répondaient plus et elle se dirigeait droit vers le sol à une vitesse renversante. La terre se rapprochait et, trop paniquée, la dragonne ne pouvait rien faire. L'impact était imminent.

– NOOON !

Ariane se réveilla en sursaut. Plus d'orage. Plus de gorge serrée. Plus d'ailes. Elle était dans son lit, et elle était parfaitement humaine. Le soleil filtrait à travers la lucarne sale. Elle se redressa et reprit son souffle quelques instants. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de retrouver sa vraie nature. Lassa, Calixte et Jaake y étaient allés la veille mais la jeune fille n'avait pas pu, elle devait finir une cape pour un nouveau chevalier. C'était comme si son corps de dragon la rappelait à l'ordre. Oh, elle avait vraiment besoin d'aller faire un tour. C'était un moment mal choisi pourtant. Un bal aurait lieu dans quelques jours et toutes les dames de la cour réclamaient à cor et à cri de nouvelles robes. Comme si elles n'en avaient pas déjà assez. Quand Ariane trouva enfin le courage de se lever, elle mangea à peine et s'habilla en vitesse. D'après la lueur du jour, elle était en retard. Surtout que ce matin, elle devait encore voir une dame de la cour pour une nouvelle robe.

Elle marcha d'un pas distrait dans les rues de Thildraigh. Elle rentra même plusieurs fois dans les gens. S'excusant à chaque fois à demi-mot, elle reprenait sa route sans se presser pour autant. Le château était en pleine effervescence. Allons bon, se dit Ariane, c'est encore le duc de machin ou la comtesse de truc qui vient faire un petit coucou. Elle arpenta les couloirs quelques temps jusqu'à trouver la personne qu'elle cherchait. Le chevalier pour qui elle s'était privée de sortie exprès était là, avec quelques amis apparemment. Elle s'inclina, lui donna sa nouvelle cape et repartit sans rien dire de plus. Elle devait maintenant voir la dame de la cour, une certaine Elizabeth, qui se trouvait dans l'aile ouest du château. Rien que de penser à ''l'aile'', Ariane se remémora avec amertume à son rêve. Plus qu'une journée. Plus que quelques petites heures. Quand elle arriva dans la chambre de Dame Elizabeth, elle découvrit une vieille femme aux allures aigries qui sermonnait quelque peu sa servante avec une voix haut perchée. Ariane signala sa présence par un raclement de gorge.

– Ah ! C'est vous, dit la Dame. Vous êtes en retard, c'est mal de faire attendre une Dame de la cour. Enfin soit, venez, j'ai récupéré une magnifique étoffe à vous montrer.
– Bien, Madame, répondit la jeune fille sans conviction.

La vieille femme partit dans des explications inintéressantes. La dragonne avait le regard perdu du côté de la fenêtre de la chambre. Au loin on apercevait un champ. Tellement grand. Tellement beau. Si seulement elle n'était pas enfermée dans ce château, à écouter cette vieille pie déblatérer sur un bout de tissu. Si seulement elle n'était pas enfermée dans ce corps, si petit pour sa qualité de gardienne. Ariane sentait son esprit de dragon s'impatienter. Elle ne savait pas combien de temps elle pouvait rester humaine sans jamais redevenir dragonne et elle n'avait pas envie de savoir. Plus que quelques heures. Une poignée d'heures, ce n'était rien pour un dragon. Non ?

– Et là je verrai bien un ourlet, ça serait ravissant... Vous m'écoutez quand je vous parle ? ronchonna Dame Elizabeth.

Ariane sursauta. Elle fit une petite révérence.

– Toutes mes excuses, Madame.
– Vous vous devez de m'écouter, je vous signale. Je suis de sang noble.

Ariane s'excusa une nouvelle fois, mais au fond sa colère bouillait.

– Et vous, vous devriez vous taire avant que je vous brûle vive, murmura-t-elle.
– Pardon ? demanda la vieille femme.
– Madame laissez-moi faire, je vais vous coudre une robe sublime, dit Ariane avec un sourire forcé.
– Parfait. Et n'oubliez pas, pas de froufrous, c'est indécent.

La couturière prit congés avec soulagement. Elle ne supportait pas ce genre de nobles qui se permettaient de rappeler leur lignée à chaque fin de phrase. Les vieilles mégères étaient les pires. Elle s'engagea dans un couloir lumineux. Maintenant, elle devait la faire, cette fichue robe. ''Et les froufrous c'est indécent'', marmonna-t-elle pour caricaturer Dame Elizabeth. Elle examina plus intensément l'étoffe qu'elle tenait entre les mains. C'était de l'assez bonne qualité. Il y avait moyen de faire quelques petits nœuds là, et à cet endroit...

BOOM -

Ariane percuta violemment une personne. Elle releva la tête et vit le prince Delwyn qui la regardait. Au loin, son serviteur Gareth s'éloignait d'un pas lent. Encore un peu sonnée, elle regarda le prince quelques temps avant de se rendre vraiment compte qu'elle était en face de la famille royale.

– Pardon, Monseigneur ! Je ne regardais pas, c'est de ma faute !

Comment avait-il pu, en si peu de temps, remettre en cause l’inexistence de la magie? Ses convictions avaient toujours été telles qu’il n’aurait jamais pensé les remettre en doute un jour, pourtant désormais, il ne savait plus vraiment quoi penser ni qui croire. Et tout cela par la faute d’un adolescent qui prétendait être ce prince de la légende et malgré bien des preuves, Delwyn restait toujours sceptique. Il n’avait tout simplement pas envie de croire en la magie. Avec persévérance ou s’il la voyait de ses propres yeux, alors peut-être daignerait-t-il admettre qu‘elle existe. Têtu hein. Mais ce blocage venait aussi du fait qu’il avait une assez mauvaise opinion de la magie. Pour lui, elle n’était belle et bienveillante que dans les histoires, si elle devait exister, elle ne serait certainement pas aussi enchanteresse. Perché sur le rebord de sa fenêtre, Delwyn se perdait parmi ses mille et une pensées. Depuis qu’il avait rencontré cet Aymeric, les choses étaient différentes. Il y avait quelque chose en ce garçon… qui lui rappelait un peu sa plus jeune sœur, ils parlaient de la magie avec le même enthousiasme, il l’écoutait tout aussi bien qu’elle, mais à la différence de sa sœur, Aymeric avait quelque chose de ..convaincant. Il savait choisir ses mots, ça c’était sûr! Puis le grincement de la porte le ramena instantanément sur Terre. Ce n’était pas trop tôt, il avait failli attendre…

- - -

Après avoir englouti son petit-déjeuner, Delwyn traîna son serviteur derrière lui alors qu’il réfléchissait au sommaire de sa journée. Au vue des préparatifs pour un bal qui aurait lieu d’ici quelques jours, l’entraînement de ses hommes avait été remit à plus tard et à vrai dire, il trouvait cela fort dommage, car il ignorait de quelle manière il allait occuper le reste de la matinée. Il rendit visite à sa tante, puis alla rapidement saluer ses soeurs avant de retourner dans ses appartements. Râlant à peine entré, il constata qu'il aurait pu dormir plus longtemps aujourd'hui.. afin de s'éviter de tourner en rond. Finalement, il décida d'aller faire un tour dehors. A côté de lui Gareth divaguait sur divers sujets, apparemment incapable de rester silencieux plus d’une minute, mais il ne lui en fit pas la remarque et décida même de participer à la conversation, ainsi le brun se sentirait peut-être moins bête à parler dans le vent. Et même si Delwyn ne l’écoutait que d’une oreille la plupart du temps, il appréciait bavarder avec lui et il en aurait bien profité quelques minutes encore si autre chose n’avait pas attiré son attention. Disons plutôt une silhouette. Le jeune prince vit en effet une brune entrer dans les appartements d’une dame, s’il en jugeait les éclats de voix qui retentirent dès lors qu’elle ouvrit la porte. Puis le silence revint lorsqu’elle la referma. Il se rendit compte alors que Gareth s’était lui aussi tut. Un sourire se dessina sur les lèvres du blond avant qu’il n’esquisse un sursaut, ou du moins quelque chose y ressemblant, lorsqu’il comprit que son valet le considérait avec l’un de ses regards inquisiteurs. Il ne fut pas étonné donc de voir le brun froncer les sourcils, sans doute curieux de connaître les raisons du soudain arrêt du prince et surtout, de savoir ce qui avait pu tant attirer son regard et mériter son sourire. Delwyn n’allait pourtant rien lui dire, il le fixa simplement et silencieusement, jusqu’à ce que finalement la question se pose oralement.

– Qu’est-ce qu’il y a? Pourquoi on s’arrête?

Mais même ainsi, Delwyn ne fit que soupirer en guise de réponse. Il se félicitait d’avoir anticipé sa réaction en ne faisant que lire sur le visage de son ami, mais ce dernier ne semblait pas avoir comprit qu’il aurait dû se taire. Il leva les yeux au plafond, l’air songeur et ironique à la fois, réfléchissant à ce qu’il pouvait bien l’envoyer faire cette fois.

« Parce que … vois-tu, je viens de me souvenir que ma tenue pour le bal doit être nettoyée, polie et tout ce qu’il s’en suit. Et je pense que le plus tôt serait le mieux. Toujours s’y prendre à l’avance, n’est-ce pas? »

Il considéra Gareth avec une certaine lueur d’amusement dans les yeux, lui faisant comprendre d’un hochement de la tête qu’il devait s’y prendre tout de suite. Le brun avait froncé de nouveau les sourcils avant de faire demi-tour en marmonnant quelque chose ..que Delwyn n’essaya même pas de comprendre, le regardant simplement partir avant de bouger à son tour, reprenant son chemin. Il repensa alors à la demoiselle qu’il avait vu quelques minutes plus tôt, ce n’était pas la première fois qu’il la voyait passer dans un couloir et il devait bien l’avouer, il était curieux de savoir qui elle était bien qu’il ait déjà une petite idée. Oui elle devait certainement être une servante. Et des servantes, il n’y en avait pas qu’une seule dans le château, celle-ci néanmoins était bien plus souvent sur son passage que toutes les autres. A moins qu’elle ne soit la seule à avoir retenu son attention? Il pouffa de rire avant de la voir ressortir. Sans réfléchir, il baissa la tête et se mit sur la trajectoire de la demoiselle, réarrangeant ses boutons de manchettes. Et l’inévitable se produisit. Dire qu’il ne regardait pas devant lui serait véridique, en revanche dire qu’il ne l’avait pas vue serait mentir, mais ça, nous n’étions pas sensés le savoir.

Tout de même, Delwyn fut surprit par le choc et s’il s’y était préparé, il n’avait pas pu empêcher ce petit mouvement de recul. Il abandonna alors ses boutons de manchettes pour s’attarder sur la jeune femme. Il se contentait de l‘observer, ne se rendant pas immédiatement compte du silence plutôt pesant qui flottait entre eux. Jusqu’à ce qu’elle brise le silence, d’une voix mi-embarrassée, mi-surprise.

– Pardon, Monseigneur ! Je ne regardais pas, c'est de ma faute !

C’était impressionnant la rapidité à laquelle on pouvait changer de comportement dès qu’on le reconnaissait. Elle s’était excusée sans même chercher à savoir qui avait été sur le passage de l’autre, étant donné la situation, Delwyn aurait bien éclaté de rire mais, il se garda bien de le faire. Il ne pouvait pas, elle se serait certainement vexée. Mais elle s’était excusée de quelque chose que le prince avait volontairement provoqué, donc la faute lui revenait et en un sens, il se sentit un peu gêné. Il devait rectifier cela, qu’il ait au moins la conscience plus tranquille.

« Oh non ne vous blâmez pas, moi-même je ne faisais pas attention! Je ne vous ai pas fait mal j’espère? J’en serais sincèrement navré. Mademoiselle ..? »

Finit-il en montant le ton, comme lorsqu’on posait une question, il lui demandait simplement et indirectement son nom. Après, il ne se vexerait pas de son silence, mais il aurait au moins apprécié connaître ce détail. Étrangement, il trouva dès lors son comportement plus qu‘inapproprié. Rentrer dans une femme pour lui parler, c’était tout ce qu’il y avait de plus stupide. Était-ce la stupidité de son valet qui commençait à avoir des répercussions sur lui? Sans nul doute oui, ce devait être ça. Mais maintenant qu’il était lancé, autant continuer, aussi poursuivit-il avant qu’elle n’ait le temps de lui filer entre les doigts. Il avait remarqué le tissus qu’elle transportait, il devina donc sans difficulté qu’elle n’était nulle autre qu’une couturière. Bizarre qu’il n’ait pas eu connaissance de ses talents jusque là. Sans doute parce qu’il n’allait pas souvent demander de nouvelles tenues, pratiquement jamais en réalité, sauf lorsque ses vêtements devenaient trop serrés.

« Hum.. vous êtes couturière? Les demandes doivent se succéder, avec le bal qui arrive! Pour qui sera cette robe? »

Il avait deviné aux couleurs du tissus et à la matière, que ce serait certainement destiné à une femme, même s’il n‘y connaissait pas grand-chose en couture… Il lui souriait franchement, peut-être trop d’ailleurs.

Ariane s'attendait à n'importe quelle réaction. Elle avait l'habitude, avec les nobles. Ils ne prêtaient jamais attention aux autres, hormis ceux qui avaient une bonne lignée comme eux. En cela, la jeune femme était très frustrée. Elle qui veillait sur eux ! Alors forcément, après avoir percuté le prince de Thildraigh en personne, elle s'attendait à n'importe quelle réaction digne d'un noble. Et pourtant, elle n'aurait jamais imaginé une telle réponse.

« Oh non ne vous blâmez pas, moi-même je ne faisais pas attention! Je ne vous ai pas fait mal j’espère? J’en serais sincèrement navré. Mademoiselle ..? »

Ariane eut du mal à cacher sa surprise. Il prenait la faute sur lui ? Alors que c'était elle qui avait les yeux fixés sur son tissu ? C'était très étonnant et plaisant à la fois. Puis, pour ne pas trop faire attendre sa réponse, elle donna son prénom :

– Ariane.

Elle aurait bien ajouté quelque chose, mais elle connaissait déjà son prénom et elle n'avait pas d'autres idées. C'était dommage que la discussion tourne court si tôt. La jeune fille n'avait jamais eu l'occasion de parler à Delwyn et elle se rendait compte qu'elle l'avait mal jugé. Enfin c'était sa première impression. Le prince s'intéressa à son étoffe. Ah, son véritable statut social était démasqué. Après tout, une couturière était l'équivalent d'une servante. Delwyn aura vite fait de le comprendre et il allait se désintéresser d'elle. Déçue, elle s'apprêtait à repartir mais elle fut interpelée une nouvelle fois :

« Hum.. vous êtes couturière? Les demandes doivent se succéder, avec le bal qui arrive! Pour qui sera cette robe? »

Une fois encore, Ariane fut agréablement surprise. Elle sourit puis dit :

– Oh la, oui, je suis débordée, c'est incroyable ! Comme si la cour entière avait décidé de renouveler sa garde robe ! Et ça, c'est pour Dame Elizabeth. J'espère en faire quelque chose de bien.

Maintenant qu'elle était sortie de la chambre de la Dame et que sa colère était passée, elle imaginait déjà tout ce qu'elle pourrait faire avec. Et bizarrement, une simple petite histoire comme celle-là pouvait intéresser Delwyn. Il était plus accessible que bien des habitants du château. Ariane se mit à l'observer plus précisément. Elle n'avait jamais fait attention à lui, parce qu'elle s'était toujours dit de ne jamais s'intéresser aux hommes de meilleur rang qu'elle. Alors, elle avait préféré son serviteur Gareth. Mais ce dernier n'était pas là, elle se demandait pourquoi d'ailleurs, et elle était forcée d'admettre que le prince n'était pas repoussant. Elle se perdait facilement dans ses grands yeux bleus. Mais soudain elle se rendit compte qu'il la regardait aussi, et en souriant. Elle lui rendit son sourire. Elle avait du paraître stupide à le détailler fixement. Elle essaya de changer rapidement de sujet, gênée.

– Au fait, pourquoi êtes-vous ici ? Il me semble que c'est l'heure de l'entraînement quotidien.

– Ariane.

La jeune femme avait mit quelques secondes avant de répondre, comme si elle avait prit le temps de réaliser que le prince en personne lui parlait. Il se doutait bien des préjugés que suscitait son rang, il ne fut donc pas si étonné de lire une certaine gêne sur le visage de la demoiselle, elle lui dit néanmoins son nom et il pouvait dire sans mentir qu’il le trouvait joli à l’oreille, pour autant il ne l’énonça pas à voix haute. Il ne voudrait pas passer pour un vulgaire charmeur, qu’il était pourtant, car il ne voulait pas que cette Ariane se fasse de fausses idées sur ses intentions, car non il n’avait eu aucune arrière pensé. C’était juste un jeune homme curieux qui n’avait fait que profiter d’une occasion, et même si elle ne lui était pas indifférente, il ne voulait que bavarder. Alors lorsqu’il avait remarqué qu’elle s’apprêtait à repartir, il était vite passé à autre chose en s’intéressant plutôt à sa fonction. Il se fichait bien du rang social lorsqu’il s’intéressait à quelqu’un, pour apprécier jusqu’à même la compagnie d’une servante, répondant au nom de Gwenneth, c’était dire à quel point ce détail lui était futile… Alors lorsque la dite Ariane lui répondit avec entrain, étirant ses lèvres en un merveilleux sourire, il ne put que le lui rendre et l’écouter.

– Oh la, oui, je suis débordée, c'est incroyable ! Comme si la cour entière avait décidé de renouveler sa garde robe ! Et ça, c'est pour Dame Elizabeth. J'espère en faire quelque chose de bien.

Dès les premiers mots, Delwyn avait eu du mal à contenir l’hilarité qui menaçait de franchir ses lèvres et finalement, ce fut à peine quelques secondes plus tard qu’un rire franc résonna dans le couloir. Il ne trouvait pas étonnant que les courtisans demandaient de nouvelles tenues, ils devaient vouloir se montrer dignes de leur rang et parfaits aux yeux de tous. Là où les femmes désiraient plaire, les hommes espéraient gagner les faveurs de leur dame. Le prince Delwyn? Il aurait dû être le premier à venir quérir les services des couturières du Palais, or aucune d’elle ne reçut cet ‘honneur’. Cela faisait plus d’un an qu’il gardait la même tenue de cérémonie et il ne paraissait pas vouloir la changer. Il l’aimait bien alors, il n'en voyait pas l’intérêt. Il n’avait jamais été quelqu’un de capricieux et se contentait toujours de ce qu’il avait, peut-être était-ce dû au fait qu’il ait perdu ses parents trop tôt? Ou pas.

« Dame Elizabeth? Si j‘étais mauvaise langue, je dirais que rien ne l‘a satisfait jamais. Je ne l’ai jamais vu sourire pour quoique ce soit. Elle serait même capable de trouver des défauts là où il n‘y en a pas, j‘en suis sûr! »

Il avait de nouveau étiré ses lèvres en un large sourire, mais il se rendit compte par la même occasion qu’il se laissait un peu trop allé… peut-être ne devrait-il pas se montrer trop lui-même. Ce n’était guère l’attitude recommandé pour un Prince envers les gens du peuple. S’en suivit alors un petit rire nerveux et un raclement de gorge, remerciant le ciel que personne n‘ait entendu cela hormis Ariane.. Bien qu’il assumait totalement ses paroles, il préférait éviter toute confrontation avec cette vieille aigrie, il ne l’avait jamais trouvé très agréable… Puis il plongea de nouveau son regard dans les iris si clairs de la jeune femme, s’y perdant l’espace d’un instant alors qu’elle le regardait aussi. Mais il y avait cette étrange lueur dans son regard, c’était comme si elle le voyait pour la première fois ou du moins, c’était l’impression qu’elle donnait. Il souriait toujours quand il la vit se détourner, avant qu’elle ne l’oriente vers un autre sujet.

– Au fait, pourquoi êtes-vous ici ? Il me semble que c'est l'heure de l'entraînement quotidien.

Bien vu, il prit dès lors une mine songeuse mêlée à un soupçon de déception lorsqu’il lui répondit:

« Et bien figurez-vous que… je le pensais aussi. Mais pour une raison ou une autre, il a été reporté. Il semblerait que trop de mes hommes apportent leur aide aux préparatifs de l’évènement, à ce que j’ai compris. »

Et le voilà qui s’emportait sur le sujet, puisque apparemment, cela semblait un peu le contrarier. Mais en reportant son attention sur la demoiselle, il se doutait bien que ce sujet n’intéressait guère les dames. Il fit un pas sur la droite pour laisser l’accès libre à Ariane avant de se tourner dans la même direction qu’elle, puis avec un trop plein d’assurance, il déclara:

« Faisons quelques pas, je ne voudrais pas vous retarder, mais je peux vous accompagner. Il s’avère que, comme vous l’avez certainement deviné, j’ai du temps libre à dépenser. »

Et quitte à le faire, autant que ce soit en si bonne compagnie. Guère plus tard, il ouvrit de nouveau la bouche, apparemment d’humeur bavarde aujourd’hui, et se permit une petite question, histoire de faire la conversation et de satisfaire sa curiosité, au passage.

« Vous travaillez au Palais depuis longtemps? »

Ariane était ravie d'avoir un peu de compagnie, ça changeait de d'habitude. Et le prince Delwyn n'avait pas l'air de se soucier de faire la discussion à une servante, alors elle ne pouvait qu'en profiter. Il fallait dire qu'elle ne bavardait pas beaucoup. Elle avait quelques connaissances au château mais ils n'avaient que rarement le temps de parler. Les vrais amis se faisaient tellement rares que discuter avec eux était quasiment devenu un honneur. Et le reste, soit elle ne les connaissait pas soit ils la prenaient pour une garce. Tiens, la jeune femme était tellement concentrée sur sa différence de rang avec le prince qu'elle en avait oublié de faire sa peste. Tant mieux après tout, ce n'était pas conseillé de jouer les mégères devant la famille royale.

Lui, par contre, ne retint pas son rire quand Ariane s'exprima. La première réaction de la dragonne fut de se vexer, car se moquer ouvertement d'elle était quand même exagéré. Mais elle finit par se rendre compte qu'il était trop franc pour être moqueur et elle se contenta donc d'afficher un air interloqué. Elle se demandait bien pourquoi une telle hilarité. Elle repensa à ce qu'elle avait dit, mais elle ne trouva rien de drôle. Sans doute l'humour princier. Elle attendit donc que Delwyn retrouve son calme, un sourire poli sur les lèvres pour éviter de trop le fâcher.

« Dame Elizabeth? Si j‘étais mauvaise langue, je dirais que rien ne l‘a satisfait jamais. Je ne l’ai jamais vu sourire pour quoique ce soit. Elle serait même capable de trouver des défauts là où il n‘y en a pas, j‘en suis sûr! »

Désormais, le sourire d'Ariane s'étira véritablement sur ses lèvres. Elle n'avait vu Dame Elizabeth qu'une seule fois mais elle avait déjà bien cerné son caractère et elle ne pouvait douter des paroles du prince. Remarque, pensa-t-elle sournoisement, la voir sourire ne devait pas être une vision des plus agréables. Elle n'avait pas l'habitude des vieilles personnes, surtout de leurs rides en fait. C'était bizarre pour elle. Les dragons, eux, étaient immortels et donc les signes de vieillesse n'apparaissaient pas. Pendant ce temps, Delwyn avait l'air un peu nerveux de tenir de tels paroles sur une Dame de la cour. Ariane le comprenait amplement : quand on voulait aider Dame Elizabeth, elle était très désagréable. Mais quand on disait du mal sur elle... Brr, la jeune femme préférait ne pas y penser. Elle s'occupa alors de répondre à son interlocuteur.

–Tant pis, au moins moi je serais satisfaite à sa place ! Il faut dire que mes habits n'ont jamais de défauts, ajouta-t-elle avec un petit air faussement prétentieux.

Elle ne pensait pas ce qu'elle venait de dire. Elle trouvait toujours quelques choses de mal sur ce qu'elle faisait. En fait, c'était une éternelle insatisfaite. Mais elle voulait simplement blaguer, en quelque sorte. C'était dans son caractère de jouer les vantardes, pour rire. Enfin rester à espérer que Delwyn l'avait pris sur le même ton qu'elle. Mais après tout il ne pouvait rien nier, il ne venait jamais pour renouveler sa garde-robe.

– Au fait, pourquoi êtes-vous ici ? Il me semble que c'est l'heure de l'entraînement quotidien.

« Et bien figurez-vous que… je le pensais aussi. Mais pour une raison ou une autre, il a été reporté. Il semblerait que trop de mes hommes apportent leur aide aux préparatifs de l’évènement, à ce que j’ai compris. »

Ariane s'amusa de l'air contrarié du prince. Il semblait privilégier largement l'entraînement à la danse, même si ses chevaliers en avaient décidé autrement. La jeune femme voyait qu'il aurait été capable de parler de combat pendant des heures. Ça ne la dérangeait pas plus que ça, elle adorait bavarder de toutes manières. Bien qu'elle n'y connaissait rien dans ce domaine. Quoique... Réflexion faite, Ariane crachait du feu à merveille et aiguisait ses griffes comme personne. Mais ce n'était peut-être pas le genre de choses à dire au prince du château en personne.

– Vous avez l'air d'apprécier de bal autant que moi...

La jeune dragonne ne pouvait que s'amuser de voir Delwyn si amer. Elle ressentait exactement la même chose. Le bal, pour elle, c'était juste des tonnes de travail en plus. Et pour couronner le tout, les serviteurs n'avaient même pas le droit de danser.

« Faisons quelques pas, je ne voudrais pas vous retarder, mais je peux vous accompagner. Il s’avère que, comme vous l’avez certainement deviné, j’ai du temps libre à dépenser. »

Ariane sourit et accepta. Ils s'engagèrent dans le couloir quand Delwyn reprit :

« Vous travaillez au Palais depuis longtemps? »

Elle se crispa imperceptiblement. Elle n'aimait jamais qu'on parle de son passé. Ariane, avant d'arriver au château, n'avait toujours été qu'une dragonne. Elle n'était pas d'humeur à s'inventer un passé humain, surtout qu'elle était nulle quand il s'agissait d'improviser. Mais pour l'instant, heureusement, le prince ne s'étendait pas trop.

– Ça va bientôt faire un an. Et vous ? J'imagine que vous avez passé votre vie ici.

Elle ne pouvait que supposer car à vrai dire elle ne connaissait en rien l'histoire de la famille royale.